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    (...) Tin Akacheker et Tagrera sont des morceaux qui méritent bien 10 ou 12 heures de tape-culs depuis Tam. Au sortir du plateau rocheux de l'immense Hoggar, dégoulinent champs de caillasse et de gravier. Ici point de roc aux solides parois qui vous allument les paluches et réveillent vos mollets grimpeurs, mais des tas gisants comme vidés de la benne qu'un dieu saturnien condamné à broyer des montagnes, aurait mis là, entre deux ères d'avant les hommes. L'horizon ingrat est terrassé par le puissant azur. Il est bien tard. Dégoterons-nous un flanc de dune pour blottir nos dos endoloris ? Le jour s'en allant, Ahmed cherche et s'inquiète. Il nous laisse croire en sa déroute, pour se voir mieux douché de gratitude quand ô, la poudreuse colline s’avance, argentée comme une perle au soir. La nuit est douce, la lune est pleine, le lever matinal et engourdi. Silence. Le premier thé du jour vous délure assez les entrailles pour encocher quelques semelles le temps de défaire votre sac d'os, et hop, en carriole.
    La conquête des cols de ce vaste champ d'éboulis n'est pas du gâteau. Devers et cahots contribuent au rapprochement aléatoire de nos corps transbahutés. Finirais-je sur les genoux du pilote ? Pas encore. La piste étroite, souvent unique, s'améliore. Les moult passages des engins ont déjà raccommodé les ravinements creusés par les trombes d'octobre. Et quand l'oued se dilate au pied des monts, il trace une confortable route naturelle et bienveillante. D’Igharghar, à Teqqedîrîne en passant par le mont Adjou – première crevaison, il y en aurait 6 ou 7 sur le millier de kilomètres de la traversée – jusqu’à Aouiker, aux largeurs à pertes de vue, bordées des lugubres terrils, l’oued devient voie royale quand se profile la majestueuse mâchoire de Tin Akacheker.
    Face à nous se dressent des rangées de dents longues aux bouts tout arrondis, flanquées dans l’onctuosité sableuse. La dentition date, elle est gracieusement bancale. Nous sommes au bord d'une gueule prometteuse, elle est tant ouverte qu'on en voit plus les dents du haut. Alors ainsi donc le gris morne des tas caillouteux n'était que diète en vue du festin qui s'annonce. Nous longeons l'imposante enceinte vers la fameuse arche. Au clin d'œil de son ouverture en biais succède la voûte de ses doigts qui se rejoignent. Franchissement.
    Nous voilà de l'autre coté du monde. Là, trou de mémoire. Sans doute le couchant a-t-il explosé comme à la fin de chacune de ces 14 journées. Sans doute, avons- nous dû dîner autour du feu, chorba, ragoût. Et ceux qui le peuvent ont dû dormir. Le jour d'après, le vieux guide nous emmène faire une longue marche à travers plaines, sables et rochers. Il cavale comme une gazelle. Ce berger de chèvres et de chameaux hèle de loin les troupes étourdies. Certains se dispersent, à l'abri du caquetage humain. C'est alors que le jour écrasé de lumière vous plante les pieds et le regard en dedans, vous tire l'oreille vers l'intérieur. Une chair sens sus dessous reconnaît sa terre comme on entend l'épingle de son nom, lettre creuse qui ne cesse plus d'avoir à se dire encore. Virulence héliotique, odeur de pierre, retrouvaille du vide et de ses vertus. L'aridité de l'air délivre chaque cellule de son trop plein d'humeurs lourdes et brumeuses. Le rapide et sourd battement du pied scande et précise toujours plus l'étreinte et la contemplation de l'espace intime ainsi révélé. Au fil du balancement des pas, le temps s'éteint et le corps s'ouvre.
    C'est souvent par surprise que les toyotas me tirent vers dehors. Immobiles au loin, elles indiquent le lieu du bivouac et la fin du jour, le moment où le soleil commence à dorer le monde. Le temps de saisir ma planche et mon pinceau, soit l'œil mobile et le cadre d'un viseur photographique, et démarre la séance en macro sur la dalle enluminée.
    Orientation, perspective, chevauchement, valeurs, ombres, décentrage, composition, circulation, mise au point, focale, pivotement, zoom, gros plan. tu penches la tête ou fais un pas et c'est l'univers qui bascule pour inventer une autre histoire, convier d'autres personnages. Plus de ciel ni terre, seule cette chose vue de près. En chercher l’habit, les multiples variantes, en choisir une en passant, faire rendre gorge aux signes de la roche, la surprendre à offrir à mon affût ses reflets insoupçonnés, le grain de ses creux, la lumière de ses teintes, ici des nuances ocres là un reste rouge rongé par le vent, assister à la naissance de la couleur tantôt terreuse, tantôt flamme, toujours pure et si changeante au gré du triangle œil, mire et soleil. Le premier bouge, le troisième aussi. La croisée de leur chemin engendre teintes et ombres en glissando. L'œil oriente sélectionne, encadre, déduit une ligne, trouve une route, ses méandres et ses bornes. Aux commandes, une insondable boussole, trempée de justesse, d’autisme et d'urgence. Car l'ombre gagne déjà.
    Il me faut grimper pour attraper la fuite du couchant, choisir la butte propice et bien garnie de draps oranges. Son flanc est tant incliné que l'on y pédale âprement. La vaine semelle s'enfonce dans le tapis mouvant qui se dérobe dès qu'on le tâte, offusqué. La percée dans le fragile œuvre du vent file le bas de la dune quant au grand dam de votre discrétion de loup l'accroc se fait cascade inextinguible qui coule en aval et grignote en amont son avalanche épidémique. De la roche liquide le grain n'existe plus, c'est la dune qui pleure. L'ascension vous coupe le souffle et vous tombez en rade. Alors accoudée à la pente, vous re-voyez. La lumière est si rasante que le sable qui fût poudre devient sucre dont l'ombre étire et entoure la granule qui s’aligne en petites troupes ondulatoires. Le vent lève le corpuscule par expires improvisés et fait que roule, bute, s'agrège à la ligne suivante la rebelle qui à nouveau s'arrache, se soulève, se dissipe, tournoie, s'arrête encore et reprend la course de son ombre. A ma patience est livrée un fil de l'écriture des sillons poussés par le vent.
    L'œil est soufflé, la vision brouillée par le filtre étincelant des cils oscillés au sein du cyclone nain. Ses bords assaillis par le troupeaux sableux déplorent de n'être que chair lacrymale asséchée en un souffle que hâte le soupir du disque rouge écorné. Affligée de rafales qui forcent les vulnérables fentes à l'altitude, la vue ce faisant balaye de haut le volatile bourrier et discerne volutes et lettres aériennes. Cursives, virgules et poches fugaces détalent en boucles imprévues, juste l'instant de voir l'âme du vent qui s'habille.

    Tiré de "l'oeil et le vent" par moi
    P.S. : la pellicule est restée dans l'avion.


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